Published on May 16, 2024

Plutôt que de subir les changements démographiques, la clé est de les utiliser comme un GPS pour déceler des opportunités de carrière et de vie que la plupart des gens ignorent.

  • Le vieillissement massif de la population crée plus d’opportunités de reprise d’entreprise que de création de nouvelles compagnies.
  • Les pénuries de main-d’œuvre ne sont pas uniformes; elles créent un véritable « marché d’employés » dans certaines régions ciblées, alors que d’autres stagnent.

Recommandation : Cessez de suivre la foule et analysez les données locales (marché du travail, services de garde) avant de prendre une décision majeure concernant votre carrière ou votre lieu de vie.

Pour un Québécois dans la trentaine ou la quarantaine, le paysage semble en constante mutation. On parle de pénurie de main-d’œuvre, de crise du logement, de services publics sous pression. Chaque jour, les manchettes décrivent une province en pleine transformation, et il est facile de se sentir dépassé, voire de subir ces changements comme une fatalité. La réaction la plus commune est de naviguer à vue, en espérant que les choses s’arrangent.

On nous dit que la population vieillit, que l’immobilier devient inaccessible, que l’immigration est la seule solution à nos manques de bras. Ces constats, bien que réels, restent souvent à la surface et alimentent une anxiété diffuse. Ils décrivent le problème, mais offrent rarement une grille de lecture pour agir individuellement. Ils nous laissent avec une question fondamentale : concrètement, qu’est-ce que tout cela signifie pour moi, pour ma carrière, pour le quartier où j’élèverai mes enfants ?

Et si ces grandes tendances n’étaient pas une fatalité, mais une carte routière détaillée ? Si, au lieu de les subir, on pouvait apprendre à les lire pour prendre des décisions plus stratégiques et éclairées ? C’est l’approche que nous proposons. Cet article transforme les données démographiques complexes en un GPS démographique personnel. L’objectif n’est pas de vous noyer sous les statistiques, mais de vous montrer comment chaque mutation crée des micro-opportunités et révèle des angles morts dans votre planification personnelle et professionnelle. Nous allons décoder ces signaux pour que vous puissiez non seulement vous adapter, mais aussi prospérer dans le Québec de demain.

Cet article vous guidera à travers les dynamiques clés qui redessinent le Québec. En comprenant les forces en jeu, de l’impact du vieillissement sur l’emploi aux tensions sur les services dans les quartiers en croissance, vous serez mieux outillé pour tracer votre propre chemin.

Pourquoi le vieillissement de la population québécoise impacte votre futur emploi ?

Le vieillissement de la population n’est pas qu’une statistique abstraite; c’est une force qui redessine activement le marché du travail québécois. Loin d’être un phénomène passif, il crée un « choc des générations inversé » rempli d’opportunités pour ceux qui savent où regarder. L’image du senior quittant définitivement son poste à 65 ans est de plus en plus obsolète. En 2024, on dénombre près de 243 000 personnes de 65 ans et plus actives sur le marché du travail au Québec, une preuve que la transition vers la retraite est de plus en plus progressive.

Cette transformation a une conséquence majeure souvent sous-estimée : le transfert d’entreprises. Avec des milliers de propriétaires de PME qui approchent de l’âge de la retraite, le repreneuriat est devenu une avenue de carrière plus importante que la création d’entreprises. En 2021, le Québec a enregistré plus de 8 600 transferts d’entreprises, un chiffre qui a dépassé pour la première fois la création de nouvelles pousses. Cette tendance, en hausse de 32,1 % entre 2015 et 2021, représente un marché colossal où jusqu’à 26 milliards de dollars d’actifs changent de mains chaque année.

Pour un professionnel de 30, 40 ou 50 ans, cela signifie que la prochaine étape de carrière pourrait ne pas être une promotion, mais l’acquisition d’une entreprise saine et établie. Le taux de survie d’une entreprise transférée est de 87 %, bien supérieur aux 60 % des startups. Vous héritez de clients, de revenus et d’une équipe. Le défi ? La rapidité. Six propriétaires cédants sur dix n’ont aucun plan de transfert formel, ce qui signifie que les opportunités apparaissent et disparaissent rapidement. Se positionner pour le repreneuriat devient donc une stratégie de carrière viable et potentiellement très lucrative.

En somme, le départ massif des baby-boomers du marché du travail n’est pas seulement un défi de main-d’œuvre; c’est avant tout une redistribution massive de capital et de responsabilités qui offre des perspectives inédites à la génération suivante.

Comment anticiper les pénuries de main-d’œuvre dans votre région d’ici 5 ans ?

La « pénurie de main-d’œuvre » est un terme que l’on entend partout, mais il masque une réalité beaucoup plus nuancée et géographiquement fragmentée. Pour planifier sa carrière, comprendre cette disparité est essentiel. Il ne s’agit pas d’une pénurie uniforme, mais plutôt de tensions extrêmes dans certaines régions et d’un marché plus équilibré, voire saturé, dans d’autres. Utiliser ces données, c’est pratiquer un véritable arbitrage géographique pour sa carrière.

L’indicateur le plus parlant est le ratio entre le nombre de chômeurs et le nombre de postes vacants. Une analyse récente de l’Institut du Québec révèle un écart saisissant : on compte 2,7 chômeurs par poste vacant à Montréal, contre seulement 0,7 sur la Côte-Nord. Concrètement, cela signifie qu’un chercheur d’emploi sur la Côte-Nord a le choix entre plusieurs offres, tandis qu’à Montréal, la compétition est bien plus féroce pour chaque poste ouvert.

Cette dynamique transforme certaines régions en véritables « marchés d’employés », où le pouvoir de négociation penche fortement en faveur des candidats. Pour anticiper où se situeront les meilleures opportunités dans les cinq prochaines années, il est crucial de consulter les données régionales détaillées, qui agissent comme un véritable outil pour votre GPS démographique personnel.

Le tableau suivant, basé sur des données compilées en 2024, illustre clairement ces différences régionales et le niveau de tension sur le marché de l’emploi, comme le montre une analyse comparative récente.

Ratio chômeurs par poste vacant selon les régions du Québec (2024)
Région Ratio chômeurs/poste Niveau de pénurie
Côte-Nord 0,7 Pénurie sévère
Abitibi-Témiscamingue 0,8 Pénurie sévère
Chaudière-Appalaches 1,2 Pénurie modérée
Québec 1,7 Tension
Montréal 2,7 Équilibre
Laval 3,9 Surplus

Analyser ces chiffres avant de décider d’un déménagement ou d’une réorientation de carrière permet de passer d’une décision basée sur l’intuition à une décision stratégique fondée sur des données probantes, maximisant ainsi ses chances de succès professionnel.

Montréal ou région éloignée : où s’installer selon les tendances démographiques ?

Le récit populaire post-pandémique d’un exode massif et continu de Montréal vers les régions doit être nuancé. Si un mouvement a bien eu lieu, les données récentes montrent un retour à la normale. En effet, une analyse de l’Institut du Québec révèle le plus faible niveau de migrations interrégionales en 2022-2023 depuis deux décennies. Cela ne signifie pas que le choix entre la métropole et les régions a perdu de sa pertinence; au contraire, les raisons de choisir l’un ou l’autre sont devenues plus structurelles et moins conjoncturelles.

Les opportunités ne sont plus simplement liées à la recherche d’espace vert, mais à des dynamiques démographiques profondes. Les régions de l’Est-du-Québec, par exemple, font face à un vieillissement plus prononcé, ce qui crée une demande criante de travailleurs, notamment dans les services publics et la santé. Cette situation contraste fortement avec la région métropolitaine. Comme le souligne Simon Savard de l’Institut du Québec dans une analyse pour Radio-Canada :

Ce qui explique cette différence entre l’Est-du-Québec et le secteur montréalais, c’est le vieillissement de la population plus important et les besoins de travailleurs dans le secteur public, notamment en santé, qui demeurent élevés.

– Simon Savard, Institut du Québec

Cette réalité se traduit par des marchés du travail radicalement différents. Au Bas-Saint-Laurent ou en Gaspésie, on pouvait compter environ deux chômeurs pour un emploi disponible, créant un environnement favorable aux candidats. Au même moment à Laval, ce ratio grimpait à quatre chômeurs pour un seul emploi. La décision de s’installer en région devient donc moins un choix de style de vie qu’un calcul stratégique sur les opportunités de carrière et le pouvoir de négociation.

Plutôt que de suivre une tendance, la décision de s’installer à Montréal ou en région doit être le fruit d’une analyse personnelle : où mes compétences sont-elles le plus en demande ? Où mon pouvoir d’achat sera-t-il le plus grand ? Où la qualité de vie correspond-elle à mes aspirations, soutenue par un marché de l’emploi qui joue en ma faveur ?

L’erreur des jeunes familles qui ignorent la pression sur les services de garde locaux

Pour de nombreuses jeunes familles, le choix d’un nouveau quartier ou d’une ville en banlieue est dicté par le prix des maisons et l’attrait des espaces verts. C’est une vision idyllique qui omet souvent un angle mort logistique majeur : la disponibilité des services essentiels, et en particulier des places en garderie. L’arrivée massive de jeunes familles dans certains secteurs en développement rapide met une pression énorme sur une infrastructure de garde d’enfants qui, elle, ne se développe pas au même rythme.

Cette erreur de planification peut transformer le rêve d’une vie de famille épanouie en un cauchemar logistique quotidien. Se retrouver sur des listes d’attente interminables pour un CPE ou devoir parcourir de longues distances pour une garderie privée coûteuse peut rapidement éroder les bénéfices d’un déménagement. L’analyse de l’offre de services de garde devrait être aussi importante que l’inspection de la maison.

Jeune famille devant une rangée de maisons dans un nouveau développement résidentiel québécois, l'air préoccupé.
Written by Caroline Tremblay, Caroline Tremblay est démographe et analyste des politiques publiques depuis 14 ans, titulaire d'un doctorat en démographie de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) et actuellement chercheuse principale dans un centre de recherche universitaire montréalais spécialisé dans les dynamiques de population. Elle analyse les transformations démographiques québécoises et leurs impacts sur les politiques sociales pour des organismes gouvernementaux et municipalités.