Published on March 15, 2024

Contrairement à la croyance populaire québécoise qu’il faut refouler ses émotions pour maintenir l’harmonie, la véritable maîtrise consiste à les reconnaître comme des signaux utiles. Cet article démontre que la régulation émotionnelle n’est pas de la répression, mais une compétence qui s’apprend. Elle permet de transformer la colère, l’anxiété ou la tristesse en outils de communication authentique pour bâtir des relations plus saines et solides, sans imploser ni passer pour un « chialeux ».

La scène est familière. Un souper de famille qui s’envenime à cause d’une remarque politique. Une réunion d’équipe où la frustration monte face à une décision absurde. Une conversation avec un proche où une vague de tristesse submerge tout. Votre cœur s’emballe, vos paumes deviennent moites, et une force intérieure vous pousse soit à exploser, soit à vous murer dans un silence glacial. Au Québec, où l’harmonie du groupe est souvent une valeur cardinale, ces réactions intenses peuvent être perçues comme une faute, un signe qu’on est « trop sensible » ou simplement un « chialeux ».

Face à ce débordement, les conseils habituels fusent : « respire », « compte jusqu’à dix », « pense à autre chose ». Ces techniques, bien qu’utiles sur le moment, s’attaquent au symptôme, pas à la cause. Elles reposent sur une idée fausse : que les émotions désagréables sont des ennemies à neutraliser à tout prix. Cette approche mène souvent à deux impasses : le refoulement stoïque qui nourrit une anxiété chronique, ou l’explosion qui endommage les relations que l’on cherchait justement à préserver.

Mais si la véritable clé n’était pas de faire taire vos émotions, mais plutôt d’apprendre à écouter ce qu’elles tentent de vous dire ? Si la colère n’était qu’un signal qu’une de vos limites a été franchie ? Si l’anxiété n’était qu’une alarme vous préparant à un danger potentiel ? Cet article propose un changement de perspective radical. La régulation émotionnelle n’est pas un combat contre soi-même, mais l’apprentissage d’une nouvelle langue : celle de vos émotions. C’est une compétence essentielle pour naviguer la complexité des relations humaines avec plus d’authenticité et de sérénité.

Nous explorerons ensemble pourquoi chaque émotion a sa raison d’être, comment les observer sans se laisser noyer, et quand il est judicieux de les exprimer ou de les réguler. Nous verrons comment réparer les pots cassés après une tempête émotionnelle et, surtout, comment construire une résilience psychologique proactive, spécifiquement adaptée à la réalité québécoise.

Pourquoi toutes vos émotions, même désagréables, ont une fonction utile au Québec ?

L’idée que certaines émotions sont « négatives » et devraient être évitées est profondément ancrée. Pourtant, d’un point de vue psychologique, chaque émotion est un messager, un système d’information crucial pour notre survie et notre bien-être. Pensez à votre tableau de bord de voiture : le voyant d’huile qui s’allume n’est pas le problème, c’est le signal d’un problème à régler. Il en va de même pour vos émotions. La peur vous alerte d’un danger et mobilise votre énergie pour y faire face. La colère signale qu’une de vos valeurs ou limites a été violée. La tristesse indique une perte et initie un processus de deuil et de réajustement.

Ignorer ou réprimer ces signaux ne fait pas disparaître le problème sous-jacent. Au contraire, cela revient à mettre du ruban adhésif sur le voyant du tableau de bord. Le problème persiste et risque de s’aggraver. Le contexte québécois, où l’anxiété est une réalité tangible pour beaucoup, illustre bien ce phénomène. En effet, les données les plus récentes indiquent que plus de 15 % des Québécois de 18 ans et plus ont reçu un diagnostic de trouble d’anxiété, un chiffre qui grimpe à 20 % chez les femmes. Cette anxiété n’est souvent que la pointe de l’iceberg d’émotions non traitées et accumulées.

La recherche scientifique valide cette perspective. Des sommités québécoises dans le domaine, comme Sonia Lupien, ont consacré leur carrière à décoder l’impact du stress sur notre cerveau. Comme le souligne le Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal :

Les intérêts de recherche de la professeure Lupien l’ont menée à démontrer les effets aigus et chroniques des hormones de stress sur la mémoire et la régulation des émotions.

– Sonia Lupien, Centre de recherche IUSMM

Comprendre cette fonction utile de l’émotion est la première étape pour changer notre relation avec elle. Il ne s’agit plus de la combattre, mais de l’accueillir comme une information précieuse. La question n’est plus « Comment puis-je arrêter de ressentir ça ? » mais « Qu’est-ce que cette émotion essaie de me dire en ce moment ? ».

Comment observer vos émotions sans vous laisser submerger au Québec ?

Une fois que nous acceptons que les émotions sont des messagers, le défi suivant est d’apprendre à lire le message sans se faire emporter par le facteur. C’est ici qu’intervient la compétence de l’observation sans jugement, un pilier de la pleine conscience. Imaginez que vous êtes assis au bord d’une rivière. Les émotions sont comme des feuilles qui flottent à la surface. Vous pouvez les observer passer – une feuille de colère, une feuille de tristesse, une feuille de joie – sans avoir à sauter dans le courant pour vous y accrocher ou tenter de les arrêter. C’est ça, l’observation émotionnelle.

Concrètement, cela consiste à prendre une micro-pause lorsque vous sentez une émotion monter. Au lieu de réagir immédiatement, vous portez votre attention sur vos sensations internes. Que se passe-t-il dans votre corps ? Votre mâchoire se serre-t-elle ? Sentez-vous une boule dans la gorge ou une chaleur dans la poitrine ? Nommer l’émotion pour soi-même (« Tiens, de la colère » ou « Je reconnais de l’anxiété ») crée une distance psychologique. Vous n’êtes plus *la colère* ; vous êtes celui ou celle qui *observe* la colère. Cet espace, même infime, est celui où le choix devient possible.

Cette pratique permet de désamorcer l’escalade automatique. Une petite contrariété n’a plus à se transformer en rage explosive. Une légère inquiétude n’a plus à devenir une crise de panique. En observant l’émotion, on la laisse suivre son cours naturel : elle naît, atteint un pic, puis s’estompe, comme une vague. C’est une compétence qui demande de l’entraînement, mais qui est accessible à tous.

Gros plan sur une main tenant une feuille d'érable rouge avec arrière-plan flou de forêt automnale
Written by François Bouchard, François Bouchard est psychologue clinicien depuis 16 ans, membre de l'Ordre des psychologues du Québec, titulaire d'un doctorat en psychologie de l'Université Laval et actuellement psychothérapeute en pratique privée à Québec, spécialisé en thérapie cognitivo-comportementale, gestion du stress, prévention de l'épuisement professionnel et régulation émotionnelle. Il intervient également comme superviseur clinique auprès de jeunes psychologues et formateur en santé mentale en milieu de travail.